Gueules Cassées ; vies brisées !
L'histoire est connue mais quel joueur du loto sait-il encore de nos jours que par son jeu, il finance en partie les soins apportés aux militaires blessés au cours des opérations ?
L'histoire débute avec la fin de la Première Guerre Mondiale. Le bilan humain s'élève à environ 9 millions de morts , soit environ 6 000 morts par jour. En nombre de combattants tués, la France paye le plus lourd tribu avec 1,4 million de morts et de disparus, soit 10 % de la population active masculine.
A cela s'ajoute 6,5 millions d'hommes invalides dont 300 000 invalides à 100% : aveugles, amputés d'une ou des deux jambes, des bras, et blessés de la face et/ou du crâne. Pour la plupart, ces hommes étaient âgés de 19 à 40 ans donc dans la force de l'âge.
Nous sommes donc le 29 juin 1919 dans la grande galerie des glaces de Versailles; dans quelques instants les participants vont prendre place et le traité de Paix va pouvoir être enfin signé et ce après de longs mois de tractations et de négociations.
Derrière la table, sur laquelle les plénipotentiaires allemands vont devoir signer le traité, et qui fait face à la délégation des alliés, s'assoient 5 hommes , 5 poilus qui vont sans le savoir entrer dans l'Histoire :
En premier lieu, Albert Jugon, mobilisé en août 1914 dans le 1er régiment d’infanterie coloniale, il avait été blessé en Argonne au début de la guerre. Il est accompagné d'Eugène Hébert, un ami d'enfance, mobilisé au 315e régiment d'infanterie, d'Henri Agogué, du 4e bataillon de chasseurs à pied, Pierre Richard, du 102e bataillon de chasseurs à pied,. Et André Cavalier, du 2e zouave, blessé à Dixmude le 4 mai 1915 Tous des fantassins appartenant le plus souvent à des unités de choc. (1)
Et leur présence n'est pas due au hasard, elle a été pensée et voulue par Clémenceau car ces 5 hommes ont un triste point commun ; c'est d'être des Gueules Cassées , des mutilés du visage......
Eugène HEBERT , Henri AGOGUE, Pierre RICHARD, André CAVALIER, Albert JUGON
(source anonyme)
A la demande de Clémenceau donc , le gouverneur militaire de Paris prit contact avec le médecin-chef du service des " faciaux " de l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris afin de désigner une délégation de cinq blessés. Deux cents mutilés au visage se trouvaient encore en traitement au Val-de-Grâce.
Georges CLEMENCEAU
Même si les interprétations diverges sur les motivations du "Père La Victoire" à scénariser la présence des ces 5 mutilés lors du Traité de Paix, cet acte est avant tout symbolique et vise à humilier davantage la délégation allemande.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
Le paradoxe de la guerre est qu'elle permet des avancées technologiques dans l'art de tuer ou de blesser, mais également de faire progresser la médecine et la chirurgie.
Et en 1918, on ne compte pas moins de 15 000 poilus gravement voire entièrement défigurés mais......"vivants".
Ces hommes se sentent doublement exclus, par les souffrances physiques qu'il doivent endurer, les multiples opérations qu'ils doivent subir, l'incapacité à se réinsérer dans la société, sans ressources, dans l'impossibilité de fonder une famille et surtout un Etat qui tarde à les prendre en charge, car à cette époque la blessure au visage n'est pas considérée comme une infirmité et n'entraîne donc aucun droit à pension d'invalidité.
Sans parler, bien évidemment du syndrome post-traumatique inconnu alors des psychiatres de l'époque et pour lequel le milieu médical se trouve complètement démuni.
Après avoir survécu aux atrocités de la guerre, ils doivent mener un nouveau combat celui de la reconnaissance et de la décence.
Afin de répondre au désarroi de leurs camarades, Bienaimé Jourdain et Albert Jugon, une quarantaine de soldats blessés au visage créent l'Union des Blessés de la Face et de la Tête (UBFT), qu'ils surnomment les " Gueules Cassées "(2)
Ils en confient la présidence au Colonel Yves Picot.
Le Colonel PICOT Bienaimé JOURDAIN Albert JUGON
( Les Fondateurs de l'UBFT )
Mais, devant l'ampleur de la tâche, l'argent vient rapidement à manquer et l'Association décide de s'autofinancer en lançant une souscription nationale assortie d'une tombola.
Le succès de cette souscription attisa les convoitises d'autres associations de mutilés de guerre créant des rivalités entre elles et des conflits sur les trottoirs parisiens sans parler de l'émergence d' individus plus intéressés par l'appât du gain que l'aspect philanthropique de l'action.
Plutôt que de se faire la guerre, Les Gueules Cassées prirent l'initiative avec d'autres associations de victimes de guerres (les Amputés de Guerre, les Aveugles de Guerre, les Mutilés des yeux, les Plus Grands Invalides, etc.) de lancer une autre souscription nationale toujours assortie d'une tombola appelée "la dette".
Ce fut encore un succès et l'Etat vit rapidement son intérêt à légiférer et à règlementer le jeu en créant La Loterie Nationale aujourd'hui la Française Des Jeux et en privant l'UBFT d'une partie de ses gains sous forme d'impôts.
Enfant, j'habitais Paris et je me souviens encore très bien des petites guérites vertes positionnées généralement sur le trottoir à la sortie des bouches de métro et dans lesquelles étaient embusquées, été comme hiver, les revendeurs de billets de la Loterie Nationale. Fixés par des punaises ou des élastiques sur des planchettes, on avait le choix d'acheter " un dixième" ou "un entier".
Je me suis souvent demandé ce que pouvait recouvrir le terme de dixièmes. " Les billets coûtaient-ils si chers qu'il fallut les diviser en dixièmes ? " Les joueurs devant partager en conséquence leur gain pour "gagner dix fois moins" ?
Aujourd'hui l'UBFT est toujours le deuxième actionnaire de la Française Des Jeux à hauteur de 9% du capital et tire principalement ses ressources de ce partenariat. A ce titre, elle ne bénéficie d'aucune autre subvention et ce depuis 1921.
Elle continue son action en apportant son soutien logistique ou financier aux militaires blessés lors d'opérations extérieures mais également aux pompiers et aux gendarmes ainsi qu'aux victimes civiles d'attentats.
Par l'intermédiaire de sa fondation, elle contribue au financement des équipes médicales des infrastructures qui s'intéressent aux traumatismes de la face et de la tête.....
(1) Albert Jugon est disparu en 1959, Eugène Hébert quant à lui , est , décédé en 1957. Henri Agogué, est mort en 1935. Pierre Richard disparait en 1965. Et André Cavalier, est décédé le dernier, en 1976.
(2) On prête au Colonel PICOT d'être à l'origine de ce qualificatif.
Pour en savoir plus :
L'association des Gueules Cassées
Le domaine des Gueules Cassées
L'Exposition virtuelle Les Gueules Cassées
Les 1/10ème de la Loterie Nationale article de BAKCHICH
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 41 autres membres