Domestique tu resteras !
"Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ?”
Cette citation de Beaumarchais tirée du Barbier de Séville résume assez bien l'abnégation qu'on attendait d'un "bon domestique" sous l'Ancien Régime : le respect, la probité, la confiance, la disponibilité, la patience, la propreté, et de surcroit une bonne condition physique.
Mais ces "gens de maisons" comme on aimait à les appeler ne représentaient qu'une faible minorité au regard du nombre de domestiques employés dans le milieu agricole.
Domestiques en veux-tu, en voilà !
Qu'ils soient laquais, valet, femme de chambre, cocher, lingère, charretier, vacher ou berger, il n'en est pas moins domestique.
Le terme "domestique" désigne l'ensemble des personnes qui vivent dans une même maison et sous les ordres d'une tierce personne.
A la différence des serfs au moyen-âge ou d'un esclave de l'antiquité, les domestiques se distinguent des précédents car ils sont censés être rémunérés soit sous forme de gages et/ou d'avantages en nature ( le logement, la nourriture....) auxquels s'ajoutent des gratifications (les étrennes ; le sou du franc....) (1)
Une population essentiellement rurale et féminisée
"A Paris, vers 1750, près de la moitié des domestiques sont des ruraux" (2), et c'est au cours du XIXe siècle que la domesticité va prendre tout son sens, période pendant laquelle un nombre considérable de gens de maison va contribuer au niveau de vie et au raffinement des familles bourgeoises.
A la campagne, la distinction entre domestique et journalier reste floue. En effet les recensements modernes que nous possédons ne permettent pas toujours "d'individualiser les domestiques agricoles pourtant fort nombreux et, dont le statut , pour les hommes au moins, est sans doute proche de celui des ouvriers à l'année".(3)
Cette population est très féminisée à l'exemple des bonnes de la capitale. Ainsi c'est 82% de la population active non agricole entre 1866 et 1906 dévolue au service domestique qui est composée de femmes. (3)
Population très jeune également, puisque les conditions de vie étant précaires et difficiles, on place les enfants très tôt dans les fermes parfois même avant leur 9 ans.
L'obligation scolaire jusqu'à 14 ans puis 16 ans mettra un terme progressivement à ce genre de pratiques.
Autre constante, le domestique est plutôt célibataire.
Un contrat souvent tacite.
Le plus fréquemment, le contrat s'il n'est pas écrit, est verbal et tacite.
Les gens de maison sont recrutés sur recommandation et sur présentation de certificats. Aujourd'hui nous parlerions de réseaux....
Il peut se conclure également lors des "louées" sorte de foire au travail où les domestiques, qu'ils soient journaliers agricoles ou servantes, se "vendent" au plus offrant.
Ces marchés au travail se tenaient deux fois par an : la première à la fin du printemps lors de la St Barnabée (11 juin) ou du lundi de Pentecôte et la deuxième au début de l'automne lors de la Saint-Michel (29 septembre), à la Toussaint ou à la Saint-Martin (11 novembre). L'année étant divisée en deux temps, les gages sont versés à l'issue des deux périodes (4).
En cas d'accord entre les deux parties, l'embauche était conclue par le versement d'un acompte appelé également "Denier de Dieu" (5). Cet acompte était imputé sur les gages à venir.
Ces marchés à l'embauche perdurèrent jusqu'en dans les années 1950.
Un oncle de mon épouse me racontait encore récemment, que jeune ouvrier agricole dans la Vienne , il se rendait à "l'accueillage" (6) pour trouver une embauche et avait l'impression de se trouver sur une foire à bestiaux où les patrons n'hésitaient pas à tâter "la marchandise" !
La durée de ce contrat qu'il soit tacite ou non, peut être saisonnier, temporaire ou à vie. En effet, fait exceptionnel, certains domestiques ont pu rester au service de leur "maître", la mort de ce dernier mettant un terme au contrat.
Mais pour beaucoup de domestiques, la précarité de l'emploi se caractérisait par une forte instabilité et mobilité.
Cette mobilité est parfois source de difficulté pour le généalogiste qui devra pister son ancêtre de village en village.
Un statut inférieur
Sous l'Ancien Régime, si la clause de confiance qui lie le serviteur à son maître vient à être rompue, le délit (abus de confiance ou vol) imputable au domestique est puni de mort au même titre qu'un crime de sang.
Souvent méprisés, les domestiques sont complétement dépendants du bon vouloir de celui qui les emploie et constituent, pour les plus pauvres un sous-prolétariat. Dans le même temps, les "gens de maison" sont progressivement ostracisés par un milieu ouvrier qui commence à s'émanciper du joug des patrons.
"Les serviteurs sont considérés comme des êtres inférieurs, des sous-hommes, porteurs de tous les vices et capables de tous les excès" (7)
Une loi de 1872 leur reconnait "une incapacité juridique à être juré" lors d'un procès ; de même, ils ne peuvent être éligibles à un mandat de conseiller municipal ! (8).
Les femmes du 6ème étage (9)
Les conditions de travail des "bonnes à tout faire" sont très difficiles, et reléguées au sixième étage dans des chambres de bonnes insalubres, sans eau, sans chauffage, sans confort, les patrons n'hésitent pas à rogner sur tous les avantages en nature y compris la nourriture.
Que ce soit à la ville ou la campagne, "le forçage" des jeunes bonnes est malheureusement la règle.
Violées par leur maître ou le fils de la maison, elles se retrouvent enceintes et renvoyées . Rejetées également par leur famille, sans ressources, elles n'ont d'autres recours que d'avorter, d'abandonner leur enfant ou de ......le tuer.
A noter, que les infanticides sont un phénomène constant dans notre histoire démographique puisqu'ils sont à l'origine en 1556 de l'Edit d'Henri II sur le recel de grossesse et de l'obligation de déclaration qui en a résultée.
Chassées de leur famille , renvoyées par leur patron, beaucoup finissent par se prostituer.
Vers 1900, la moitié des prostituées sont d’anciennes bonnes". (10)
La légende familiale veut que mon arrière-grand père paternel "ait engrossé" la bonne qu'il finit pourtant par épouser en juin 1889 , mon grand -père naissant quant à lui en Juillet. L'honneur était sauf, même si je ne suis pas fier de cette histoire, sommes-nous pour autant responsables de nos ancêtres ?
Danièle, la grand-mère de mon épouse, originaire de la Vienne, a 23 ans en 1928 lorsqu'elle est séduite par le fils du gros propriétaire fermier chez qui elle travaillait en tant que cuisinière.
Elle tombe rapidement enceinte et est chassée du village par sa famille qui se sent déshonorée.
Elle monte à Paris, trouve une place de cuisinière dans une famille bourgeoise de Neuilly-sur-Seine où on exige qu'elle abandonne son accent poitevin et ses oripeaux de paysanne.
En juillet 1928, elle met au monde son fils et tous les jours elle le déposera dès potron-minet dans un tourniquet à la crèche après l'avoir entièrement déshabillé puis elle courait prendre son service.
Le géniteur de son fils ne le reconnaitra jamais.
Elle put rentrer au pays quand elle accepta un mariage arrangé par ses parents, son futur mari acceptant de reconnaitre, à postériori, le fils qu'elle avait eu d'un autre. En contrepartie, seule femme d'une maisonnée de cinq hommes célibataires, elle dut accepter d'assurer le quotidien du père et des frères de son mari.
Bécassine t'es ma cousine !
Je ne pourrai pas conclure cet article sans dire un mot des milliers de jeunes filles bretonnes qui montèrent à Paris, au début du XXème siècle, pour occuper des emplois de "bonnes à tout faire" dans les famille bourgeoises de la capitale et qui donnèrent naissance au personnage de Bécassine créée en 1905 par Jacqueline Rivière et dessinée par Joseph-Porphyre Pinchon.
Didier Guyvarc'h (11) rapporte que dès 1903 une brochure intitulée " Les méfaits de l'émigration, Marie-Jeanne à Paris" a contribué à construire l'image d'Epinal de la "bonne bretonne" victime de sa naïveté et de sa cupidité. La pauvre Marie-Jeanne, après bien des déboires finira sur les trottoirs de Paris pour mourir dans un hôpital glauque dans l'indifférence générale.
Ainsi Geneviève de Bignières rapporte qu'en 1926, 30 à 40 % des femmes détenues à la prison Saint- Lazare (12) sont bretonnes.
Tout a une fin
Avec la guerre de 14, les hommes étant au combat, le nombre de domestiques baisse nettement et les femmes investissent les usines et les bureaux pour un travail parfois plus rémunérateur mais surtout présentant moins de contraintes.
sources :
(1) Les domestiques au XIXème siècle.
(2) Extrait du chapitre concerné, dans l’ouvrage Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture.
(3) "Histoire de la population française" . Tome 3 . Ouvrage sous la direction de Jacques Dupâquier. PUF / 1988.
(4) cité par Marc Renou
(5) Le denier de Dieu » désignait la pièce de cent sous que le maître donnait à son domestique, sur la louée, pour lui signifier que l’accord d’embauche est conclu". Marc Renou
(6) terme poitevin. Marc Renou
(7) Les domestiques au XIXème siècle.
(8) "De la condition civile des domestiques" d'Olivier Fourcade. Université de droit / Faculté de Paris. 1898
(9) Les Femmes du 6e étage est un film français réalisé par Philippe Le Guay, sorti en 2011 avec F.LUCCHINI et S.KIMBERLAIN.
(10) Les domestiques au XI
Xème siècle.
(11) Didier Guyvarc'h : Le mépris et le chagrin. De la Belle Époque à la Grande Guerre, dans Femmes de Bretagne, images et histoires, Apogée/ Presses Universitaires de Rennes, 1999
(12) La prison Saint-Lazare, qui deviendra l'hôpital Saint-Lazare, était située dans les anciens bâtiments de la maison mère de la congrégation de la Mission ou maison de Saint-Lazare, à Paris, 10e arrondissement au no 107 de la rue du Faubourg-Saint-Denis, dans l'ancien enclos Saint-Lazare.
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 41 autres membres